dimanche 22 novembre 2009

La mystification démocratique

La mystification démocratique - Jacques CAMATTE

REVUE INVARIANCE N° 6 - 1969

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L’as­saut du proléta­ri­at aux ci­ta­del­les du ca­pi­tal ne pour­ra se faire avec une quel­con­que chan­ce de succès qu’à la con­di­ti­on que le mou­ve­ment révo­lu­ti­onn­ai­re proléta­ri­en en fi­nis­se, une fois pour tou­tes, avec la démocra­tie. Cel­le-​ci est le der­nier re­fu­ge de tous les re­nie­ments, de tou­tes les tra­hi­sons, parce qu’elle est le pre­mier es­poir de ceux qui cro­i­ent as­sai­nir, re­vi­go­rer le mou­ve­ment ac­tu­el pour­ri jusqu’en ses fon­de­ments.

«La vie so­cia­le est es­sen­ti­el­le­ment pra­tique. Tous les mystères qui détour­nent la théorie vers le mys­ti­cis­me trou­vent leur so­lu­ti­on ra­ti­on­nel­le dans la pra­tique hu­mai­ne et dans la compréhen­si­on de cette pra­tique.» (Marx – Huitième thèse sur Feu­er­bach)

1) D’une façon générale, nous pou­vons définir la démocra­tie comme le com­por­te­ment de l’homme, l’or­ga­ni­sa­ti­on de ce­lui-​ci lors­qu’il a perdu son unité or­ga­ni­que ori­gi­nel­le avec la com­mu­nauté. Elle exis­te donc du­rant toute la période qui sépare le com­mu­nis­me pri­mi­tif du com­mu­nis­me sci­en­ti­fi­que.

2) Elle naît à par­tir du mo­ment où il y a di­vi­si­on entre les hom­mes et par­ta­ge de l’avoir. Cela veut dire qu’elle naît avec la pro­priété privée, les in­di­vi­dus et la di­vi­si­on de la société en clas­ses, avec la for­ma­ti­on de l’Etat. Il s’en­su­it qu’elle de­vi­ent de plus en plus pure au fur et à me­su­re que la pro­priété privée de­vi­ent plus générale et que les clas­ses ap­pa­raissent plus net­te­ment dans la société.

3) Elle sup­po­se un bien com­mun mis en par­ta­ge. Dans la société an­tique, la démocra­tie limitée présup­po­sait l’exis­tence de l’ager pu­bli­cus et les es­cla­ves n’étai­ent pas des hom­mes. Dans la société mo­der­ne, ce bien est plus uni­ver­sel (tou­che un plus grand nom­bre d’hom­mes), plus abs­trait, il­lu­soire: la pa­trie.

4) La démocra­tie n’ex­clut en au­cu­ne façon l’au­to­rité, la dic­ta­tu­re et donc l’Etat. Au con­trai­re, elle en a be­so­in comme fon­de­ment. Qui peut ga­ran­tir le par­ta­ge, qui veut régler le rap­port entre les in­di­vi­dus et entre ce­ux-​ci et le bien com­mun, sinon l’Etat? Dans la société ca­pi­ta­lis­te plei­ne­ment déve­loppée, l’Etat se présente aussi comme le gar­di­en de la répar­ti­ti­on à un dou­b­le point de vue: empêcher que la plus-​va­lue ne soit gri­gnotée par le proléta­ri­at, ga­ran­tir la répar­ti­ti­on de cel­le-​ci sous forme de pro­fit in­dus­tri­el, pro­fit com­mer­ci­al, intérêt, rente, etc. entre les différen­tes sphères ca­pi­ta­lis­tes.

5) Elle im­pli­que donc l’exis­tence des in­di­vi­dus, de clas­ses et de l’Etat; ce qui fait qu’elle est à la fois mode de gou­ver­ne­ment, mode de do­mi­na­ti­on d’une clas­se, ainsi que le méca­nis­me d’union et de con­ci­lia­ti­on.
Les pro­ces­sus éco­no­mi­ques, en effet, à l’ori­gi­ne, di­vi­sent les hom­mes (procès d’ex­pro­pria­ti­on) unis dans la com­mu­nauté pri­mi­ti­ve. Les an­ti­ques rap­ports so­ci­aux sont détruits. L’or de­vi­ent puis­sance réelle rem­p­laçant l’au­to­rité de la com­mu­nauté. Les hom­mes sont opposés à cause d’ant­ago­nis­mes matériels tels qu’ils pour­rai­ent faire écla­ter la société, la rend­re in­vi­va­ble. La démocra­tie ap­pa­raît comme un moyen de con­ci­lier les con­trai­res, comme la forme po­li­tique la plus apte à unir ce qui a été divisé. Elle représente la con­ci­lia­ti­on entre la vi­eil­le com­mu­nauté et la société nou­vel­le. La forme mys­ti­fi­ca­tri­ce réside dans l’ap­pa­ren­te re­con­struc­tion d’une unité per­due. La mys­ti­fi­ca­ti­on était pro­gres­si­ve.

Au pôle opposé de l’his­toire, de nos jours, le pro­ces­sus éco­no­mi­que a abou­ti à la so­cia­li­sa­ti­on de la pro­duc­tion et des hom­mes. La po­li­tique, au con­trai­re, tend à les di­vi­ser, à les main­tenir comme sim­ples sur­faces d’échan­ge pour le ca­pi­tal. La forme com­mu­nis­te de­vi­ent de plus en plus puis­s­an­te au sein du vieux monde ca­pi­ta­lis­te. La démocra­tie ap­pa­raît comme une con­ci­lia­ti­on entre le passé en­core agis­s­ant en notre présent ac­tu­el et le futur: la société com­mu­nis­te. La mys­ti­fi­ca­ti­on est réac­tionn­ai­re.

6) Il a été sou­vent af­firmé qu’au com­men­ce­ment de la vie de notre espèce, dans le com­mu­nis­me pri­mi­tif, il y avait des ger­mes de démocra­tie, cer­tains par­lent même de for­mes. Or il y a in­com­préhen­si­on que dans la forme inféri­eu­re on peut trou­ver les ger­mes de la forme supéri­eu­re se ma­ni­festant spo­ra­di­que­ment. Cette «démocra­tie» ap­pa­rais­sait dans des cir­con­stan­ces bien défi­nies. Cel­les-​ci une fois révo­lues, il y avait re­tour à l’an­ci­en mode d’or­ga­ni­sa­ti­on. Ex­emp­le: la démocra­tie mi­li­taire à ses débuts. L’élec­tion du chef se fai­sait à un mo­ment précis et en vue de cer­tai­nes opéra­ti­ons. Cel­les-​ci ac­com­plies, le chef était résorbé dans la com­mu­nauté. La démocra­tie qui se ma­ni­festait tem­por­ai­re­ment était réab­sorbée. Il en fut de même pour les for­mes du ca­pi­tal que Marx ap­pel­le antédi­lu­vi­en­nes. L’usure est la forme archaïque du ca­pi­tal-​ar­gent qui pou­vait se ma­ni­fes­ter dans les vi­eil­les sociétés. Mais son exis­tence était tou­jours précaire parce que la société se défen­dait cont­re son pou­voir dis­sol­vant et la ban­nis­sait. Ce n’est que lors­que l’homme est de­venu mar­chan­di­se que le ca­pi­tal peut se déve­lop­per sur une base sûre et qu’il ne peut plus être réab­sorbé. La démocra­tie ne peut réel­le­ment se ma­ni­fes­ter qu’à par­tir du mo­ment où les hom­mes ont été to­ta­le­ment divisés et que le cor­don om­bi­li­cal les unis­sant à la com­mu­nauté a été coupé; c’est-à-dire quand il y a des in­di­vi­dus.
Le com­mu­nis­me peut par­fois se ma­ni­fes­ter dans cette société, mais il est tou­jours réab­sorbé. Il ne pour­ra vrai­ment se déve­lop­per qu’à par­tir du mo­ment où la com­mu­nauté matéri­el­le aura été détrui­te.

7) Le phénomène démocra­tique ap­pa­raît avec net­teté au cours de deux péri­odes his­to­ri­ques: lors de la dis­so­lu­ti­on de la com­mu­nauté pri­mi­ti­ve en Grèce; lors de la dis­so­lu­ti­on de la société féodale en Eu­ro­pe oc­ci­den­ta­le. C’est in­con­tes­ta­ble­ment au cours de cette se­con­de période que le phénomène ap­pa­raît dans sa plus gran­de am­pleur parce que les hom­mes ont été réel­le­ment réduits à l’état d’in­di­vi­dus et que les an­ti­ques rap­ports so­ci­aux ne peu­vent plus les main­tenir unis. La révo­lu­ti­on bour­geoi­se ap­pa­raît tou­jours comme une mise en mou­ve­ment des mas­ses. D’où la ques­ti­on bour­geoi­se: com­ment uni­fier cel­les-​ci et les fixer dans de nou­vel­les for­mes so­cia­les. De là, la ma­la­die in­sti­tu­ti­on­nel­le et le déchaîne­ment du droit en société bour­geoi­se. La révo­lu­ti­on bour­geoi­se est so­cia­le à âme po­li­tique.

Au cours de la révo­lu­ti­on com­mu­nis­te, les mas­ses ont déjà été or­ga­nisées par la société ca­pi­ta­lis­te. Elles ne vont pas cher­cher de nou­vel­les for­mes d’or­ga­ni­sa­ti­on mais elles vont struc­tu­rer un nou­vel être collec­tif, la com­mu­nauté hu­mai­ne. Ceci ap­pa­raît net­te­ment lors­que la clas­se agit en temps qu’être his­to­ri­que, lors­qu’elle se con­sti­tue en parti.

Plu­sieurs fois dans le mou­ve­ment com­mu­nis­te, il a été af­firmé que la révo­lu­ti­on n’est pas un problème de for­mes d’or­ga­ni­sa­ti­on. Pour la société ca­pi­ta­lis­te, en re­van­che, tout est ques­ti­on or­ga­ni­sa­ti­on­nel­le. Au début de son déve­lop­pe­ment, ceci ap­pa­raît dans la re­cher­che des bon­nes in­sti­tu­ti­ons; à la fin dans celle des struc­tu­res les plus aptes à en­ser­rer les hom­mes dans les pri­sons du ca­pi­tal: le fa­scis­me. Aux deux extrêmes, la démocra­tie est au coeur de ces re­cher­ches: la démocra­tie po­li­tique d’abord, so­cia­le en­sui­te.

8) La mys­ti­fi­ca­ti­on n’est pas un phénomène voulu par les hom­mes de la clas­se do­mi­nan­te, une su­per­che­rie in­ventée par eux. Il suf­fi­rait d’une sim­ple pro­pa­gan­de adéquate pour l’ex­tir­per des cer­veaux des hom­mes. Elle agit en fait, dans les pro­fon­deurs de la struc­tu­re so­cia­le, dans les rap­ports so­ci­aux.

«Il faut qu’un rap­port so­ci­al de pro­duc­tion se présente sous la forme d’un objet exis­tant en de­hors des in­di­vi­dus et que les re­la­ti­ons déter­minées dans les­quel­les ce­ux-​ci ent­rent dans le procès de pro­duc­tion de leur vie so­cia­le, se présen­tent comme des pro­priétés spéci­fi­ques d’un objet. C’est ce ren­ver­se­ment, cette mys­ti­fi­ca­ti­on non pas ima­gi­n­ai­re, mais d’une prosaïque réalité, qui ca­ractérise tou­tes les for­mes so­cia­les du tra­vail créateur de val­eur d’échan­ge.»
(Marx – Cont­ri­bu­ti­on à la cri­tique de l’éco­no­mie po­li­tique)

Il est donc néces­sai­re d’ex­pli­quer en quoi la réalité est mys­ti­fi­ca­ti­ve et com­ment cette mys­ti­fi­ca­ti­on sim­ple, au début, de­vi­ent de plus en plus gran­de et att­eint son ma­xi­mum avec le ca­pi­ta­lis­me.

9) A l’ori­gi­ne, la com­mu­nauté hu­mai­ne subit la dic­ta­tu­re de la na­tu­re. Elle doit lut­ter cont­re elle pour sur­vi­v­re. La dic­ta­tu­re est di­rec­te, et la com­mu­nauté dans sa to­ta­lité, la subit.
Avec le déve­lop­pe­ment de la société de clas­ses, l’Etat se pose en représen­tant de la com­mu­nauté, prétend in­car­ner la lutte de l’homme cont­re la na­tu­re. Or, étant donné la fai­bles­se du déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives, la dic­ta­tu­re de cette dernière est tou­jours opérante. Elle est in­di­rec­te, média­tisée par l’Etat et pèse sur­tout sur les cou­ches les plus défa­vo­risées. Lors­que l’Etat définit l’Homme, il prend, en fait, comme sub­strat de sa défi­ni­ti­on, l’homme de la clas­se do­mi­nan­te. La mys­ti­fi­ca­ti­on est to­ta­le.

10) Sous le ca­pi­ta­lis­me, on a une première période où, bien que la bour­geoi­sie ait pris le pou­voir, le ca­pi­tal n’a en­core qu’une do­mi­na­ti­on for­mel­le. Beau­coup de res­tes de for­ma­ti­ons so­cia­les antéri­eu­res per­sis­tent, fais­ant obst­a­cle à sa do­mi­na­ti­on sur l’en­sem­ble de la société. C’est l’époque de la démocra­tie po­li­tique où s’ef­fec­tue l’apo­lo­gie de la li­berté in­di­vi­du­el­le et la libre con­cur­rence. La bour­geoi­sie présente cela comme mo­y­ens de libéra­ti­on des hom­mes. Or c’est une mys­ti­fi­ca­ti­on parce que «la con­cur­rence n’éman­ci­pe pas les in­di­vi­dus, mais le ca­pi­tal» (Marx – Grund­ris­se).

«On voit ainsi com­bi­en il est in­ep­te de présen­ter la libre con­cur­rence comme le déve­lop­pe­ment ul­ti­me de la li­berté hu­mai­ne, et la négati­on de la libre con­cur­rence comme la négati­on de la li­berté in­di­vi­du­el­le et de la pro­duc­tion so­cia­le fondée sur la li­berté in­di­vi­du­el­le, puis­qu’il s’agit sim­ple­ment du libre déve­lop­pe­ment sur une base étroi­te -​cel­le de la do­mi­na­ti­on du ca­pi­tal-​. De ce fait, cette sorte de li­berté in­di­vi­du­el­le est à la fois l’ab­oli­ti­on de toute li­berté in­di­vi­du­el­le et l’as­su­jet­tis­se­ment de l’in­di­vi­du aux con­di­ti­ons so­cia­les qui revêtent la forme de puis­sances matéri­el­les, et même d’ob­jets supéri­eurs et indépen­dants des rap­ports des in­di­vi­dus. Ce déve­lop­pe­ment de la libre con­cur­rence four­nit la seule réponse ra­ti­on­nel­le que l’on puis­se faire aux prophètes de la clas­se bour­geoi­se qui la port­ent aux nues, ou aux so­cia­lis­tes qui la vou­ent aux gémo­nies.»
(Marx – Ibid)

11) «La démocra­tie et le par­le­men­ta­ris­me sont in­dis­pensa­bles à la bour­geoi­sie après sa vic­toire par les armes et par la ter­reur parce que la bour­geoi­sie veut do­mi­ner une société divisée en clas­ses.» (Batta­glia Com­mu­nis­ta – 1951)
Il y avait néces­sité d’une con­ci­lia­ti­on pour pou­voir do­mi­ner car il était im­pos­si­ble qu’une do­mi­na­ti­on per­du­re uni­que­ment par la ter­reur. Après la conquête du pou­voir, par la vio­lence et la ter­reur, le proléta­ri­at n’a pas be­so­in de la démocra­tie non pas parce que les clas­ses dis­pa­raissent du jour au len­de­main mais parce qu’il ne doit plus y avoir mas­qua­ge, mys­ti­fi­ca­ti­on. La dic­ta­tu­re est néces­sai­re pour empêcher tout re­tour de la clas­se ad­ver­se. De plus, l’ac­ces­si­on du proléta­ri­at à l’Etat, est sa prop­re négati­on en tant que clas­se, ainsi que celle des au­tres clas­ses. C’est le début de l’uni­fi­ca­ti­on de l’espèce, de la for­ma­ti­on de la com­mu­nauté. Récla­mer la démocra­tie im­pli­quer­ait l’exi­gence d’une con­ci­lia­ti­on entre les clas­ses et cela re­vi­en­d­rait à dou­ter que le com­mu­nis­me est la so­lu­ti­on de tous les ant­ago­nis­mes, qu’il est la récon­ci­lia­ti­on de l’homme avec lui-même.

12) Avec le ca­pi­tal, le mou­ve­ment éco­no­mi­que n’est plus séparé du mou­ve­ment so­ci­al. Avec l’achat et la vente de la force de tra­vail, l’union s’est opérée, mais elle a abou­ti à la so­u­mis­si­on des hom­mes au ca­pi­tal. Ce­lui-​ci se con­sti­tue en com­mu­nauté matéri­el­le et il n’y a plus de po­li­tique puis­que c’est le ca­pi­tal lui-même qui or­ga­nise les hom­mes en es­cla­ves.
Jusqu’à ce stade his­to­ri­que, il y avait une sépa­ra­ti­on plus ou moins nette entre pro­duc­tion et di­stri­bu­ti­on. La démocra­tie po­li­tique pou­vait être en­vi­sagée comme un moyen de répar­tir plus équi­ta­ble­ment les pro­du­its. Mais lors­que la com­mu­nauté matéri­el­le est réalisée, pro­duc­tion et di­stri­bu­ti­on sont in­dis­solub­le­ment liées. Les impéra­tifs de la cir­cu­la­ti­on con­di­ti­on­nent, alors, la di­stri­bu­ti­on. Or la première n’est plus quel­que chose de to­ta­le­ment extérieur à la pro­duc­tion, mais est, pour le ca­pi­tal, un mo­ment es­sen­ti­el de son procès total. C’est donc le ca­pi­tal lui-même qui con­di­ti­on­ne la di­stri­bu­ti­on.
Tous les hom­mes ac­com­plis­sent une fonc­tion pour le ca­pi­tal qui, au fond, présup­po­se leur exis­tence. En rap­port avec l’exécu­ti­on de cette fonc­tion, les hom­mes reçoiv­ent une cer­tai­ne di­stri­bu­ti­on de pro­du­its par l’in­termédiai­re d’un sa­lai­re. Nous avons une démocra­tie so­cia­le. La po­li­tique des re­venus est un moyen d’y par­ve­nir.

13) Du­rant la période de do­mi­na­ti­on for­mel­le du ca­pi­tal (démocra­tie po­li­tique) la démocra­tie n’est pas une forme d’or­ga­ni­sa­ti­on qui s’op­po­se en tant que telle au ca­pi­tal, c’est un méca­nis­me uti­lisé par la clas­se ca­pi­ta­lis­te pour par­ve­nir à la do­mi­na­ti­on de la société. C’est la période où tou­tes les for­mes in­clu­ses dans cette dernière lut­tent pour par­ve­nir à ce même résul­tat. C’est pour­quoi, pen­dant une cer­tai­ne période, le proléta­ri­at peut lui aussi in­ter­ve­nir sur ce ter­rain. D’autre part, les op­po­si­ti­ons se dérou­lent aussi au sein d’une même clas­se, entre bour­geoi­sie in­dus­tri­el­le et bour­geoi­sie fi­nan­cière par ex­emp­le. Le par­le­ment est alors une arène où s’af­fron­tent les intérêts di­vers. Le proléta­ri­at peut uti­li­ser la tri­bu­ne par­le­men­taire pour dénon­cer la mys­ti­fi­ca­ti­on démocra­tique et uti­li­ser le suf­fra­ge uni­ver­sel en tant que moyen d’or­ga­ni­s­er la clas­se.
Lors­que le ca­pi­tal est par­venu à sa do­mi­na­ti­on réelle, s’est con­sti­tué en com­mu­nauté matéri­el­le, la ques­ti­on est résolue: il s’est emparé de l’Etat. La conquête de l’Etat de l’intérieur ne se pose plus car il n’est plus «qu’une for­ma­lité, le haut goût de la vie po­pu­lai­re, une cérémonie. L’élément con­sti­tu­ant est le men­son­ge sanc­tionné, légal des Etats con­sti­tu­ti­on­nels, di­s­ant que l’Etat est l’intérêt du peup­le ou que le peup­le est l’intérêt de l’Etat» (Marx).

14) L’Etat démocra­tique représente l’il­lu­si­on de la con­du­i­te de la société par l’homme (que ce­lui-​ci puis­se di­ri­ger le phénomène éco­no­mi­que). Il pro­cla­me l’homme sou­ver­ain. L’Etat fa­scis­te est la réali­sa­ti­on de la mys­ti­fi­ca­ti­on (en ce sens il peut ap­pa­raître comme sa négati­on). L’homme n’est pas sou­ver­ain. En même temps, il est, de ce fait, la forme réelle, avouée, de l’Etat ca­pi­ta­lis­te: do­mi­na­ti­on ab­so­lue du ca­pi­tal. L’en­sem­ble so­ci­al ne pou­vait pas vivre sur un di­vorce entre la théorie et la pra­tique. La théorie di­sait: l’homme est sou­ver­ain; la pra­tique af­fir­mait: c’est le ca­pi­tal. Seu­le­ment, tant que ce der­nier n’était pas par­venu à do­mi­ner, de façon ab­so­lue, la société, il y avait pos­si­bi­lité de dis­tor­si­on. Dans l’Etat fa­scis­te, la réalité s’as­su­jet­tit l’idée pour en faire une idée réelle. Dans l’Etat démocra­tique l’idée s’as­su­jet­tit la réalité pour en faire une réalité ima­gi­n­ai­re. La démocra­tie des es­cla­ves du ca­pi­tal sup­pri­me la mys­ti­fi­ca­ti­on pour mieux la réali­ser. Les démocra­tes veu­lent la re­mett­re en évi­dence lors­qu’ils cro­i­ent pou­voir con­ci­lier le proléta­ri­at avec le ca­pi­tal.
La société a trouvé l’être de son op­pres­si­on (ce qui ab­olit la dua­lité, la dis­tor­si­on réalité-pensée), il faut lui op­po­ser l’être libéra­teur qui représente la com­mu­nauté hu­mai­ne: le parti com­mu­nis­te.

15) De là découle que la plu­part des théori­ci­ens du XIXème siècle étai­ent éta­tis­tes. Ils pen­sai­ent résoud­re les données so­cia­les au ni­veau de l’Etat. Ils étai­ent média­tis­tes. Seu­le­ment, ils ne com­pre­naient pas que le proléta­ri­at de­vait non seu­le­ment détrui­re l’an­ci­en­ne ma­chi­ne de l’Etat, mais en mett­re une autre à la place. Beau­coup de so­cia­lis­tes cr­ur­ent qu’il était pos­si­ble de conquérir l’Etat de l’intérieur, les an­ar­chis­tes de l’ab­olir du jour au len­de­main.
Les théori­ci­ens du XXème siècle sont cor­po­ra­ti­vis­tes parce qu’ils pen­sent qu’il s’agit seu­le­ment d’or­ga­ni­s­er la pro­duc­tion, de l’hu­ma­ni­s­er pour résoud­re tous les problèmes. Ils sont immédia­tis­tes. C’est un aveu in­di­rect de la va­li­dité de la théorie proléta­ri­en­ne. Dire qu’il fail­le con­ci­lier le proléta­ri­at avec le mou­ve­ment éco­no­mi­que, c’est re­con­naître que c’est uni­que­ment sur ce ter­rain que peut sur­gir la so­lu­ti­on. Cet immédia­tis­me vient du fait que la société com­mu­nis­te est de plus en plus puis­s­an­te au sein même du ca­pi­ta­lis­me. Il ne s’agit pas de faire une con­ci­lia­ti­on entre les deux mais de détrui­re le pou­voir du ca­pi­tal, sa force or­ga­nisée, l’Etat ca­pi­ta­lis­te, qui main­ti­ent le mo­no­po­le privé alors que tous les méca­nis­mes éco­no­mi­ques ten­dent à le faire dis­pa­raître. La so­lu­ti­on com­mu­nis­te est médiate. La réalité sem­ble es­ca­mo­ter l’Etat, il faut le mett­re en évi­dence et, en même temps, in­di­quer la néces­sité d’un autre Etat tran­si­toire; la dic­ta­tu­re du proléta­ri­at.

16) Le de­ve­nir vers la démocra­tie so­cia­le était es­compté dès le début:
«Tant que la puis­sance de l’ar­gent n’est pas le lien des cho­ses et des hom­mes, les rap­ports so­ci­aux doiv­ent être or­ga­nisés po­li­ti­que­ment et re­li­gieu­se­ment.» (Marx)

Marx a tou­jours dénoncé la su­per­che­rie po­li­tique et mis à nu les rap­ports réels:
«C’est donc la néces­sité na­tu­rel­le, ce sont les pro­priétés es­sen­ti­el­les de l’homme, tou­tes étrangères qu’elles puis­sent sem­bler, c’est l’intérêt, qui ti­en­nent unis les hom­mes de la société bour­geoi­se dont le lien réel est donc con­sti­tué par la vie bour­geoi­se et non par la vie po­li­tique.» (Marx – La Sain­te Fa­mil­le)

«Mais l’es­cla­va­ge de la société bour­geoi­se est, en ap­pa­rence, la plus gran­de li­berté, parce que c’est, en ap­pa­rence, l’indépen­dance achevée de l’in­di­vi­du pour qui le mou­ve­ment effréné, libéré des ent­ra­ves générales et des li­mi­ta­ti­ons imposées à l’homme, des éléments vitaux dont on l’a dépouillé, la pro­priété par ex­emp­le, l’in­dus­trie, la re­li­gi­on, etc. est la ma­ni­fe­sta­ti­on de sa prop­re li­berté, alors que ce n’est en réalité que l’ex­pres­si­on de son as­ser­vis­se­ment ab­so­lu et de la perte de son ca­ractère hu­main. Ici, le pri­vilège a été rem­placé par le droit.» (Marx – La Sain­te Fa­mil­le)

La ques­ti­on de la démocra­tie ne fait que re­po­ser, sous une autre forme, l’op­po­si­ti­on fal­la­cieu­se entre con­cur­rence et mo­no­po­le. La com­mu­nauté matéri­el­le intègre les deux. Avec le fa­scis­me (= démocra­tie so­cia­le), démocra­tie et dic­ta­tu­re sont elles aussi intégrées. Par-là même, c’est un moyen de sur­mon­ter l’an­ar­chie.
«L’an­ar­chie est la loi de la société bour­geoi­se éman­cipée des pri­vilèges clas­si­fi­ca­teurs, et l’an­ar­chie de la société bour­geoi­se est la base de l’or­ga­ni­sa­ti­on pu­bli­que mo­der­ne, de même que cette or­ga­ni­sa­ti­on est à son tour la ga­ran­tie de cette an­ar­chie. Malgré toute leur op­po­si­ti­on, elles sont con­di­ti­ons l’une de l’autre.»
 (Marx – La Sain­te Fa­mil­le)

17) Main­ten­ant que la clas­se bour­geoi­se, celle qui di­ri­gea la révo­lu­ti­on, qui per­mit le déve­lop­pe­ment du ca­pi­tal, a di­s­pa­ru, rem­placée par la clas­se ca­pi­ta­lis­te qui vit du ca­pi­tal et de son procès de va­lo­ri­sa­ti­on, que la do­mi­na­ti­on de ce­lui-​ci est assurée (fa­scis­me) et que de ce fait il n’y a plus be­so­in d’une con­ci­lia­ti­on po­li­tique, parce que su­per­flue, mais d’une con­ci­lia­ti­on éco­no­mi­que (cor­po­ra­ti­vis­me, doc­tri­ne des be­so­ins, etc.), ce sont des clas­ses mo­y­en­nes qui se font les adep­tes de la démocra­tie. Seu­le­ment, plus le ca­pi­ta­lis­me se ren­force, plus l’il­lu­si­on de pou­voir par­ta­ger la di­rec­tion avec le ca­pi­tal s’éva­nouit. Il ne reste plus que la re­ven­di­ca­ti­on d’une démocra­tie so­cia­le à préten­ti­ons po­li­ti­ques: pla­ni­fi­ca­ti­on démocra­tique, plein em­ploi, etc. Ce­pen­dant, la société ca­pi­ta­lis­te, en créant l’as­sis­tan­ce so­cia­le, en es­sa­yant de main­tenir le plein em­ploi réclamé, réalise, la démocra­tie so­cia­le en ques­ti­on: celle des es­cla­ves au ca­pi­tal.
Avec le déve­lop­pe­ment des nou­vel­les clas­ses mo­y­en­nes, la re­ven­di­ca­ti­on de la démocra­tie se tein­te -​seu­le­ment-​ de com­mu­nis­me.

18) Ce qui précède con­cer­ne l’aire eu­ro-​nordaméri­cai­ne, mais n’est pas valable pour tous les pays où pen­dant long­temps a prédominé le mode de pro­duc­tion asia­tique (Asie, Afri­que) et où il prédo­mi­ne en­core (Inde par ex­emp­le). Dans ces pays, l’in­di­vi­du n’a pas été pro­du­it. La pro­priété privée a pu ap­pa­raître mais elle ne s’au­to­no­mi­se pas; il en est de même pour l’in­di­vi­du. Ceci est lié aux con­di­ti­ons géo-​so­cia­les de ces pays et ex­pli­que l’im­pos­si­bi­lité où se trou­ve le ca­pi­ta­lis­me de s’y déve­lop­per, tant qu’il ne s’était pas con­sti­tué en com­mu­nauté. Au­tre­ment dit, ce n’est que lors­qu’il est par­venu à ce stade que le ca­pi­ta­lis­me peut rem­pla­cer l’an­tique com­mu­nauté et ainsi conquérir des zones im­men­ses. Seu­le­ment, dans ces pays, les hom­mes ne peu­vent pas avoir le même com­por­te­ment que celui des oc­ci­den­taux. La démocra­tie po­li­tique est ob­li­ga­toire­ment es­ca­motée. On ne peut avoir, tout au plus, que la démocra­tie so­cia­le.

C’est pour­quoi nous avons, dans les pays les plus tra­vaillés par l’im­plan­ta­ti­on du ca­pi­ta­lis­me, un dou­b­le phénomène: une con­ci­lia­ti­on entre le mou­ve­ment réel et l’an­tique com­mu­nauté et une autre avec la com­mu­nauté fu­ture: le com­mu­nis­me. D’où la dif­fi­culté d’appro­che de ces sociétés.

Au­tre­ment dit, toute une gran­de por­ti­on de l’hu­ma­nité ne connaîtra pas la mys­ti­fi­ca­ti­on démocra­tique telle que l’a con­nue l’oc­ci­dent. C’est un fait po­si­tif pour la révo­lu­ti­on à venir.

En ce qui con­cer­ne la Rus­sie, nous avons un cas in­termédiai­re. On peut cons­ta­ter avec quel­le dif­fi­culté le ca­pi­ta­lis­me y est im­planté. Il a fallu une révo­lu­ti­on proléta­ri­en­ne. Là aussi, la démocra­tie po­li­tique oc­ci­den­ta­le n’avait pas de ter­rain de déve­lop­pe­ment et on peut cons­ta­ter qu’elle ne peut y fleur­ir. Nous au­rons, comme dans l’oc­ci­dent ac­tu­el, la démocra­tie so­cia­le. Mal­heu­reu­se­ment là-bas aussi, la cont­re-​révo­lu­ti­on a ap­porté le poi­son sous forme de la démocra­tie proléta­ri­en­ne et, pour beau­coup, l’in­vo­lu­ti­on de la révo­lu­ti­on dev­rait être re­cherchée dans la non-réali­sa­ti­on de cel­le-​ci.

Le mou­ve­ment com­mu­nis­te re­pren­dra, en re­con­nais­s­ant ces faits et en leur ac­cor­d­ant toute leur im­port­an­ce. Le proléta­ri­at se re­con­sti­tu­era en clas­se et donc en parti, dépas­sant ainsi le cadre étriqué de tou­tes les sociétés de clas­se. L’espèce hu­mai­ne pour­ra fi­na­le­ment être unifiée et for­mer un seul être.

19) Tou­tes les for­mes his­to­ri­ques de démocra­tie cor­re­spon­dent à des sta­des de déve­lop­pe­ment où la pro­duc­tion était limitée. Les différen­tes révo­lu­ti­ons qui se sont succédées sont des révo­lu­ti­ons par­ti­el­les. Il était im­pos­si­ble que le déve­lop­pe­ment éco­no­mi­que puis­se se faire, pro­gres­ser, sans que ne se pro­dui­se l’ex­ploi­ta­ti­on d’une clas­se. On peut cons­ta­ter que de­puis l’an­ti­quité ces révo­lu­ti­ons ont cont­ri­bué à éman­ci­per une masse tou­jours plus gran­de d’hom­mes. D’où l’idée que l’on va vers la démocra­tie par­fai­te, c’est-à-dire une démocra­tie re­grou­pant tous les hom­mes. Beau­coup, de ce fait, se sont em­pressés d’écrire l’égalité: so­cia­lis­me = démocra­tie. Il est vrai qu’il est pos­si­ble de dire qu’avec la révo­lu­ti­on com­mu­nis­te et la dic­ta­tu­re du proléta­ri­at, il y a une masse plus im­port­an­te d’hom­mes qu’au­pa­ra­vant ent­rant dans le do­mai­ne de cette démocra­tie idéale; qu’en généra­li­sant sa con­di­ti­on de prolétaire à l’en­sem­ble de la société, le proléta­ri­at ab­olit les clas­ses et réalise la démocra­tie (le ma­ni­fes­te dit que la révo­lu­ti­on c’est la conquête de la démocra­tie). Il faut tou­te­fois ajou­ter que ce pas­sa­ge à la li­mi­te, cette généra­li­sa­ti­on, est en même temps la de­struc­tion de la démocra­tie. Car, par­allèle­ment, la masse hu­mai­ne ne reste pas con­sti­tuée à l’état de sim­ple somme d’in­di­vi­dus tous équi­va­l­ents en droit sinon en fait. Ceci ne peut être que la réalité d’un mo­ment très bref de l’his­toire dû à une éga­li­sa­ti­on forcée. L’hu­ma­nité se con­sti­tu­era en un être collec­tif, la Ge­mein­we­sen. Cel­le-​ci naît en de­hors du phénomène démocra­tique et c’est le proléta­ri­at con­sti­tué en parti qui trans­met cela à la société. Lors­qu’on passe à la société fu­ture, il y a un chan­ge­ment qua­li­ta­tif et non seu­le­ment quan­ti­ta­tif. Or la démocra­tie «est le règne an­ti-​mar­xis­te de cette quan­tité im­puis­s­an­te, de toute éter­nité, à de­ve­nir qua­lité». Re­ven­di­quer la démocra­tie pour la société post-​révo­lu­ti­onn­ai­re, c’est re­ven­di­quer l’im­puis­sance. D’autre part, la révo­lu­ti­on com­mu­nis­te n’est plus une révo­lu­ti­on par­ti­el­le. Avec elle se ter­mi­ne l’éman­ci­pa­ti­on pro­gres­si­ve et se réalise l’éman­ci­pa­ti­on ra­di­ca­le. Là en­core, saut qua­li­ta­tif.

20) La démocra­tie re­po­se sur un dua­lis­me et est le moyen de le sur­mon­ter. Ainsi elle résoud celui entre es­prit et matière équi­va­lent à celui entre grands hom­mes et masse, par délégati­on des pou­voirs; celui entre ci­toy­en et homme, par le bul­le­tin de vote, le suf­fra­ge uni­ver­sel. En fait, sous prétexte de l’ac­ces­si­on à la réalité de l’être total, il y a délégati­on de la sou­ver­ai­neté de l’homme à l’Etat. L’homme se déleste de son pou­voir hu­main.
La sépa­ra­ti­on des pou­voirs néces­si­te leur unité et ceci se fait tou­jours par vio­la­ti­on d’une con­sti­tu­ti­on. Cel­le-​ci est fondée sur un di­vorce entre si­tua­ti­on de fait et si­tua­ti­on de droit. Le pas­sa­ge de l’une à l’autre étant assuré par la vio­lence.

Le prin­ci­pe démocra­tique n’est en réalité que l’ac­cep­ta­ti­on d’une donnée de fait: la scis­si­on de la réalité, le dua­lis­me lié à la société de clas­ses.

21) On veut sou­vent op­po­ser la démocra­tie en général qui se­rait un con­cept vide à une forme de démocra­tie qui se­rait la clef de l’éman­ci­pa­ti­on hu­mai­ne. Or qu’est-​ce qu’une donnée dont la par­ti­cu­la­rité est non seu­le­ment en con­tra­dic­tion avec son con­cept général mais doit en être la négati­on? En fait, théori­ser une démocra­tie par­ti­cu­lière (proléta­ri­en­ne par ex­emp­le) re­vi­ent en­core à es­ca­mo­ter le saut qua­li­ta­tif. En effet, ou cette forme démocra­tique en ques­ti­on est réel­le­ment en con­tra­dic­tion avec le con­cept général, et alors on a vrai­ment autre chose (pour­quoi, alors, démocra­tie?), où elle est com­pa­ti­ble avec ce con­cept et elle ne peut avoir qu’une con­tra­dic­tion d’ordre quan­ti­ta­tif (em­bras­ser un plus grand nom­bre d’hom­mes par ex­emp­le) et, de ce fait, elle ne sort pas des li­mi­tes même si elle tend à les re­pous­ser.

Cette thèse ap­pa­raît sou­vent sous la forme: la démocra­tie proléta­ri­en­ne n’est pas la démocra­tie bour­geoi­se, et on parle de démocra­tie di­rec­te pour mon­trer que si la se­con­de a be­so­in d’une coupu­re, d’une dua­lité (délégati­on de pou­voir), la première la nie. On définit alors la société fu­ture comme étant la réali­sa­ti­on de la démocra­tie di­rec­te.

Ceci n’est qu’une négati­on négati­ve de la société bour­geoi­se et non une négati­on po­si­ti­ve. On veut en­core définir le com­mu­nis­me par un mode d’or­ga­ni­sa­ti­on qui soit plus adéquat aux di­ver­ses ma­ni­fe­sta­ti­ons hu­mai­nes. Mais le com­mu­nis­me est l’af­fir­ma­ti­on d’un être, de la véri­ta­ble Ge­mein­we­sen de l’homme. La démocra­tie di­rec­te ap­pa­raît comme étant un moyen pour réali­ser le com­mu­nis­me. Or ce­lui-​ci n’a pas be­so­in d’une telle média­ti­on. Il n’est pas une ques­ti­on d’avoir ni de faire, mais une ques­ti­on d’être.