jeudi 12 juin 2014

Pour une critique de l'idéologie acataleptique

Pour une critique de l'idéologie acataleptique

"Il discourait un jour sérieusement et personne ne l’écoutait; alors il se mit à débiter des balivernes, et vit une foule de gens s’empresser autour de lui : « Je vous reconnais bien, leur dit-il, vous accourez auprès de ceux qui vous content des sornettes, et vous n’avez qu’insouciance et dédain pour les choses sérieuses." 


DIOGENE LAERCE, Vies et doctrines des philosophes de l’antiquité.
Livre VI - Chapitre II. DIOGÈNE - Livre VI (1 Antisthène - livre VI.


De nos jours l'accès à un courriel peut s'avérer être l’équivalent d”une véritable boite de pandore. Entre les réclames qui vous promettent un priapisme contrôlé et bon marché ou la perte inopportune de quinze kilos en quarante-huit heures, ont y trouve aussi très régulièrement des sujets qui éveillent autant la perplexité que l’interrogation, surtout quand ils vous convoquent sous la bannière de la provocation. Procédé si cher à la démarche publicitaire ! Ainsi il y a peu, nous trouvions, à coté d'un truc de “mère au foyer” pour avoir les dents blanches, cette invitation à la méditation acataleptique (1) : "Douter de tout… pour tenir l'essentiel".(2)

Ne nous revendiquant pas particulièrement de l'École du « marxisme des foutaises » et ne nous rendant que trop rarement sur les hauteurs de la Montagne Sainte-Geneviève.

Nous décidons alors de reprendre nos quelques vieilles leçons désignées par les anciens de propédeutique.

Nos idées bien plus claires, il nous fallait donc nous attaquer à cet ersatz d’aphorisme dont les ambitions imagées, flirtent plus avec le conte morbide pour enfants qu’avec la sagesse antique. Nous voila donc plongés dans une étrange science des interprétations. Trop peu familiers de la tradition occultiste, nous décidons alors d’en rester au niveau littéral de son interprétation. Laissant ainsi aux adeptes des acronymes foireux, le soin de tenir conférence, sans nous il va sans dire.

Ainsi comment peut-on “douter de tout, pour tenir l'essentiel” ? Parce que si l'on doute de "tout", l'essentiel doit aussi être "mis en doute" et alors avec ce "doute" plus rien n'est sûr....même cet "essentiel". Et nous voila alors à douter de tout comme de l'essentiel. Car la conséquence intellectuelle, (gageons ici de parler d'honnêteté) ne peut que nous pousser à interroger cet “essentiel” sous peine de faire la moitié du chemin de la remise en question. L'essentiel faisant forcement partie du Tout, pourquoi doit-on y "tenir" ? N'est-ce pas plutôt lui qui nous "tient" sauf à se balader tranquillement dans le "ciel" des essences et du doute. Enfin bref, etc...

N'avons nous pas là ce que nous pourrions appeler une forme de sophisme ?

Le propre de ce genre de figure rhétorique, proche du slogan (ou de la flûte théorique) n'a pour objet que de déclencher la sidération et de provoquer l'anéantissement de l'intellect et de la réflexion. Ceci au bénéfice d’une théorisation para-doxa-lement dogmatique puisque définitive. Le doute étant érigé en méthode d'analyse systématique. (comme nous l’avons démontré : voir ci-dessus).

Douter (surtout de tout) ne peut pas être une approche du réel et de sa complexité. Il faut lui préférer la construction d’une méthodologie pour éviter les régressions scolastiques. Mais surtout une pratique nourrie d'une théorie critique d'investigation du monde qui doit déboucher sur l’élaboration d'outils tranchants qui seront certainement émoussés et qu'il faudra perpétuellement aiguiser. Ceux-ci serviront à cette compréhension nécessaire d’une totalité en mouvement, dont il ne faut pas “douter” mais qu’il faut comprendre, expliquer, pour enfin se ré-approprier et donc dépasser l’Objet (ou son Sujet) qui permettra de transformer le réel existant. Car le doute systématique ne mène qu'à la contemplation et à l'inaction, au psittacisme (3). C'est un affect à peine pré-cartésien (4) du rapport au monde que nous pouvons volontiers qualifier de mystique, quand il s’applique au champ politique.

La lutte de classe ne se nourrie pas de « doutes » mais de combats et d'une praxis-processus. Cette lutte est le produit des rapports sociaux de production subit quotidiennement et du dressage total marchand. Son école c'est la rage et la souffrance, l'humiliation constante de notre Etre objectivé à chaque instant. C’est l’'impossibilité de joindre les deux bouts. Se sentir aussi merdique que ce que l'on “produit”. La haine de classe ne laisse pas de place aux doutes. Seulement à une tension rebelle vers le dépassement,  car nous n’en pouvons plus d’attendre. Le combat de classe impose plus qu’il ne remet en cause ou ne se tortille autour du doute, ce luxe. Voila pourquoi nous ne doutons de rien...n’en déplaise aux douteurs et aux douteux.


(1) Doctrine philosophique qui fait profession de douter de tout.

(2) Il faudra que l'on nous entretienne plus longuement sur ce Tout et sur cet essentiel…

(3) Pour s’en convaincre il est bon de se rapprocher de l’école antique de philosophique sceptique et plus précisément de Pyrrhon d'Élis "qui renvoyait à ses disciples ou à son entourage des perceptions paradoxales des situations les plus simples c’est à dire l’indifférence devant les trous ou autres dangers entravant son chemin, ou encore devant la noyade d’un de ses amis incapable d’embrasser l’ataraxie du sage au milieu d’un bourbier marécageux."

(4) Descartes écrivait déjà en son temps « Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » critique toujours féroce et valable de qui vous voudrez ceci pour le sujet qui nous intéresse. Pour une critique du scientisme (l’idéologie de la science) possible avec ce type de perspective, ou du reste, précisons ici que ce n’est pas l’objet du texte.